vendredi 26 août 2016

"You're fucking blessed honey" Oh Yes, I am


C'est une bien triste histoire, celle de LA mauvaise panne. La mienne.
Mi-mai 2016, je fais un gros pari : acheter un van en Australie, pour le revendre. Si je gagne le pari : j’ai une maison gratuite, si je le perds… non je préfère ne pas y penser.


Fin mai 2016, la réalité me tombe dessus : je n’ai jamais acheté une voiture seule, je n’y connais rien en mécanique et encore moins en anglais, je ne comprends pas les Australiens et beaucoup me mettent en garde contre l’état des véhicules.

A défaut d’écouter mes compétences mécaniques, j’écoute mon instinct en croyant qu’y mettre le prix fort me préviendrait de toute panne. Pour seulement trois mois, je veux juste m’éviter tout problème mécanique.
Il est un peu vieux, mais il me parait bien et bien entretenu. J'y mets le prix fort.
Let's go.

Fin juin : je chante dans mon super van sur la route du surf. A peine sortie de l’autoroute, un voyant s’allume. Gloups. La température est dans le rouge, et la panique me prend à la gorge quand mon cher van disparaît dans un nuage de fumée blanche.
Je me suis arrêtée là où j’ai pu. Et c’était devant la maison d’un producteur de noix de macadamia.
« Viens, je vais essayer de réparer ça ».
J’ai un putain de bon Karma.

Quelques heures plus tard passées généreusement avec moi, il m’annonce : Joint de culasse. C’est le genre de mot qui vous fait l’effet d’un couteau dans le cœur, c’est le cancer des vans.
Le pire que tu peux avoir, honey. Trop cher pour le réparer…
Wait.

On peut essayer un truc, une solution miracle pour voyageurs fauchés : vider une bouteille d’un produit miracle dans le radiateur. C’est quitte ou double, et on sait en 15 min.
Et MIRACLE. On a soigné mon cher compagnon.
J'ai regardé mon sauveur du jour "pourquoi tu fais ça?"
"Parce que j'ai voyagé, je rends la monnaie de la précieuse pièce Aide"
Fuck, j’ai un bon Karma.

Depuis je re-roule. Doucement.
Une semaine, ça tient. Un peu plus vite.
Sur les bons conseils d’un vieux sage avant mon départ, j’ai continué à faire marcher mes deux yeux : un œil pour admirer, un œil pour surveiller.
Et sur les bons conseils d’un producteur de macadamia, j'en fait marcher un troisième : un œil collé à la jauge de température.

Deux semaines. Youhou, je rechante dans mon van chéri guéri.
Vendredi dernier, c’est avec la gorge un peu nouée par les nouveaux signes de faiblesse de mon vieux compagnon que je regarde les vagues de Mooloolaba avec mon deuxième vieux compagnon, mon surf jaune.
14h22. Un promeneur engage la discussion.
14h23. On parle surf.
14h24. Il est… mécanicien. « Je vais y jeter un œil »
Oh mate, j'ai un sacré bon Karma.
14h25. Je suis en combi, penchée sur le moteur de mon vieux van en priant qu’on ne m’annonce pas encore un nouveau cancer des vans.
14h27 : « Désolé Madame, je crois que c’est un cancer ».
Fuck.
On revide une bouteille du produit miracle.

Je me retourne sur le chemin parcouru depuis Sydney en mai : la panne évitée sur l’autoroute, le producteur de macadamia qui me l’a réparé sans rien demander, la réparation-bricolage qui a tenu, la rencontre improbable d’un mécanicien sur la plage.
J’ai un putain de bon Karma. Donc j’y crois.

Samedi. Je lance mon « Allez mon pote, tu tiens ! » journalier à mon cher van qui tire la tronche, je le sens (oui je parle à mon van).
J’aime pas les week-ends, les magasins et les garages sont fermés. Et je fais mon pari hebdomadaire : soit tu tiens cher van, soit… je ne préfère pas y penser.

Je veux aller à Eumundi, petite ville touristique de l’Est du Queensland. Je vise premièrement la ville intermédiaire de Nambour, qui n'a absolument aucun intérêt apparent mis à part son supermarché que j’ai repéré sur internet.
Mon stress monte légèrement en même temps que ma jauge de température.
Non non non mon ami, on t’a soigné hier. Je sais que ça a marché, j’ai un putain de bon Karma.
Bon. Je m’arrête, je fais mes courses à Nambour, tu refroidis et tu redeviens normal, OK ? (oui je parle à mon van).

Une heure plus tard, la jauge est descendue mais pas mon stress. Je m’arrête au feu rouge. La jauge monte, passe le quart, elle monte. Le stress monte, dans le ventre. La jauge monte, passe la moitié. Je suis à l’arrêt, putain, passe au vert ! La panique me monte à la gorge. La jauge monte, passe le troisième quart.
NON NON NON, ça a marché j’en suis sûre, tu peux pas me lâcher ! On avait dit que j’avais un bon Karma !!
Putain ! mais passe au vert toi ! (oui je parle aux feux rouges)
La jauge, le stress, la panique montent dans le rouge.
Et le feu passe au vert.
Je m’arrête là où je peux, et m’effondre : je connais d’avance le diagnostic trop mauvais qu’on fera de mon van au joint de culasse trop fatigué pour continuer à avancer dans sa vie de van. Et la réalité s’abat sur moi : on est au milieu du week-end, dans une ville inconnue du Queensland, à l’autre bout du monde, je suis seule et sans amis à proximité, je n’ai plus de van en état de marche, donc plus de lit, plus de cuisine, plus de moyen de transport, plus de moyen de recharger mon téléphone.

« It’s just a car, honey »
La panique m’a empêché de voir Cheryl, 61 ans, s’approcher.
- What’s your name ?
- Leslie
- God… That’s my only sister’s name. Come home.
(Aurais-je un bon karma ?)

« Bon, j’appelle mon beau-frère, Greg, pour lui demander le nom d’un bon mécanicien. »
Greg, c’est un homme très occupé, en plus d'avoir une femme qui s'appelle Leslie, il est l’équivalent australien de Conseiller Général. Mais il est ancien prof de mécanique.
« Je suis là dans 20 min ».

Au vu du regard de Cheryl qui se traduirait en "cet homme est un saint, et un saint débordé, et il est là dans 20 min", je me dis que merde je crois que, dans mon malheur, j'ai de la chance.

Le verdict attendu tombe : Joint de culasse probablement. « C’est un cancer madame ».
Je le savais.
Wait. Il y a une autre possibilité.
Corrosion. « C’est un cancer généralisé madame ».
Bon.

Les choses s’organisent autour de moi avant même que je puisse les comprendre.
Cheryl : « Tu vas vivre ici, jusqu'à nouvel ordre. On ne peut rien faire ce week-end, tout est fermé. Lundi, on va trouver un bon garage, honnête, on aura un verdict et un prix de réparation, et tu verras si ça peut être faisable pour toi. »
Je m’apprête à passer un weekend sans en savoir plus, quand 1h plus tard, j’entends Cheryl au téléphone « Je ne t’ai pas appelé pour que tu le fasses toi-même Greg, tu n’as déjà pas une minute à toi… ».
Elle raccroche.
« Vide ton van, honey. Ils sont là dans 20 min. »

20 min plus tard, Ean, ami de Greg a apporté sa remorque personnelle. Et emmène mon cher van malade dans son hangar pour opération. Ah oui, Ean, ami de Greg, est ancien mécanicien.
Greg : « J’ai un discours demain à 10h, mais on démonte le haut de ton moteur de 6h30 à 9h »
J’en reviens pas.
Ean et Greg vont prendre le peu de temps libre qu’il leur reste pour aider gratuitement une inconnue.
Une inconnue au bon karma, il faut croire.

Dans la voiture de Greg, qui me ramène chez Cheryl et Gary, je réalise qu’une poignée d’inconnus remuent ciel, terre, famille et amis, pour me venir en aide jusqu’au bout de leur compétences, moi l’insignifiante french backpacker parmi tant d’autres, juste parce que… pourquoi d’ailleurs ?
Parce que Cheryl n’a pas pu laisser tomber une voyageuse partageant le prénom de son unique sœur.
Je pose la question à Greg.
« Parce que j’ai deux filles. Et que si ça leur arrivait à l’autre bout du monde, j’espère que quelqu’un ferait ça »
Ils m’ont tous clouée sur place.


Dimanche, hier, 6h30. Mon vieux van fatigué dénote quelque peu au milieu de la magnifique propriété de Ean, entre palmiers, piscine, voitures vintage et bateaux.

Cherchez l'erreur...
Après quelques heures de travail, je me rends compte de la complexité de la tâche que représente le démontage de la moitié du moteur, pour comprendre le fond du problème.
Et je fais enfin la connaissance de ce joint de culasse, cette ridicule pièce d’amiante qui a terrorisé mes routes australiennes.

Il est à changer c’est clair. « C’est un cancer madame »
Mais le pré-diagnotic de Greg était malheureusement bon : la culasse est corrodée. Bon, bah voilà "c’est un cancer généralisé, madame".
Mais ça s’opère bien. On n'a pas les outils pour le faire, mais on vous trouvera le meilleur chirurgien des vans du coin.

Je ne comprends pas tout ni combien ça va me coûter finalement, mais s’il y a une chose que j’ai bien comprise, c’est que je suis entre les meilleures mains de la région.

10h. Greg se transforme en Conseiller Général, pour l’ouverture du petit festival annuel de la ville de Nambour. Dont la moitié connait déjà l’histoire de la french girl à la panne rue machin.
Et à la fin du discours de remerciements officiel de Greg,
« Nous avons une invitée particulière aujourd’hui… Elle nous vient tout spécialement de Marseille, Leslie, tu peux te lever s’il te plait ? Hier, Leslie est tombée en panne… »
Et voilà comment l’autre moitié de Nambour connaît l’histoire de la french girl à la panne rue machin.

16h. Greg en a fini avec son rôle de Conseiller Général, il remet le costume de Bon Samaritain, direction le hangar de Ean pour trois bonnes heures de déboulonnage et de cours privés de mécanique, en anglais et avec interrogations. Ah les anciens profs…

En attendant le verdict de l'opération de mon cher vieux van qui devrait se dérouler dans quelques jours, je partage la vie à 2000 à l’heure de Cheryl, prof de sport à la retraite. Et je comprends de mieux en mieux la remarque qu’on m’a faite 10 fois depuis samedi midi « T’es tombée sur la meilleure personne possible, tu sais ? »
Je lui dis qu’il faudra qu’elle vienne en France, pour mes trente ans par exemple.
« Oh when is your birthday by the way ? »
- March
- … when ?
- 14th.
- God… that’s my only sister’s birthday !


J’écris depuis le beau jardin de Cheryl et Gary, et je n’en reviens toujours pas de la rapidité de l’enchaînement des événements et de la solidarité démesurée dans laquelle on me fait nager depuis deux jours.
J’écris depuis le beau jardin de Cheryl et Gary, et je pense que je ne suis pas prête d’oublier l’image de mon van samedi soir, mon vieux van malade, ma maison australienne, complétement vide s’installer sur la remorque de Ean, sans que j’ai eu mon mot à dire.
Et Cheryl, une bière à la main qui m’a pris le bras avec son énergie déconcertante et lancé :
« You’re fucking blessed, honey ».

Oh yes, I am.



(à suivre...)
***


1 commentaire:

  1. Toujours beaucoups d'émotion même avec une simple histoire de bagnol......Merci j'aimerais presque tomber en panne demain pour voir ce que ça donne !!!!des bis

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