vendredi 19 février 2016

Le sourire Birman, l’aiguille et le nœud



S’il y a bien un exercice difficile, c’est la retranscription juste, sans inflammation excessive, ni description monotone, ni récit bateau qui se termine en « Le voyage, c’est juste incroyablement indescriptible quoi » d’une expérience de voyage.



Surtout quand il s’agit d’une sensation et non d’un récit épique d’aventurier solitaire. Récit épique m’aurait finalement bien arrangée : j’en mets plein les yeux à tout le monde, je prends des risques seule à l’autre bout du monde. Wahou. Elle s’en est sortie. Clap clap, c’est la meilleure. Super récit. On pense à en faire un film. Merci, merci.
Pas pour cette fois.

Comment retranscrire l’effet juste d’un sujet tel que « le sourire Birman » à vous, qui lisez depuis votre quotidien, sans risquer le récit niaisard dégoulinant de fausse émotion à 3 couches de crème du genre « les gens d’ici sont vraiment supers, c’est vraiment pas comme le métro parisien, ils sourient, c’est magnifique, ils sont pauvres mais ils s’aiment, ils me regardent comme une vraie personne et parlent à leur voisin (= « Regardez comme ma vie est tellement mieux par rapport à la vôtre, tellement que ma seule préoccupation c’est de vous raconter que quelqu’un m’a souri au Myanmar »).
Le voyage, c’est juste incroyablement indescriptible quoi. »
Et ben… pas facile.
Mais allez, je m’y expose !


On est le 4 février 2016, j’arrive à Yangon (Myanmar, ex-Birmanie) avec mon ami Vincent. Il fait chaud, je suis retournée par le trajet depuis la Thaïlande, ma nuit de 4h et le changement.
Et j’aime pas les villes.
Yangon, c’est un bordel sans nom, sale, pauvre, un grand n’importe quoi, je suis intimidée, fatiguée et je ne m’y sens pas bien.
On décide de s’aventurer dans un bus de ville, sans numéro, indiqué au doigt par le gérant de notre auberge. On a à peine un plan, cette ville ne m’attire pas... J’ai besoin de dormir.
Et j’aime pas les villes.

Dans le bus, on s’assoie parmi la dizaine de personnes. Je croise par hasard le regard d’un homme en jupe (longyi) à ma droite. Il me sourit. Mais pas un sourire serein. Encore moins poli. Un sourire qui me fait à peine sursauter, comme si j’avais eu un petit coup d’aiguille dans le doigt de pied.
Bizarre.
10 personnes dans le bus. 10 regards braqués. 10 sourires.
On se regarde médusés avec Vincent, il a bien reçu 10 coups d’aiguille lui aussi.

Le bus local tente d’avancer dans le bordel de Yangon. Je regarde par la fenêtre sans vitre, la ville, les voitures, les déchets, les bâtiments défraichis, les tas de fils électriques, les ateliers de soudure de rue artisanaux, les crachats rouges permanents de la chique locale, l’odeur des ordures, de la chaleur urbaine, de la friture et de l’eau stagnante.





On est loin de la Thaïlande carte postale aux épices et à la noix de coco…

Aie ! Coups d’aiguille. X4.
Et ils viennent de loin. De la 6ème file de voitures de l’immense boulevard dans lequel on tente d’avancer. D’un pick-up où s’entassent une vingtaine de birmans, dont 4 filles qui doivent avoir mon âge. Elles m’ont repérée depuis l’autre côté du boulevard, à travers les 6 files de voitures qui nous séparent, et la réaction est immédiate : sourire instantané, franc et avec les yeux. Il est explosif, amusé, désintéressé, impoli et authentique, la main en l’air et un signe de tête pour m’assurer qu’il est bien pour moi, l’insignifiante râleuse fatiguée au fond de son bus.

On en aurait la bouche bée si on n’essayait pas de leur rendre la pareille. Et elles se marrent. Nous aussi. Et disparaissent.

Et… Je crois qu’elles ont réussi à faire le nœud. Celui du câble entre le fond de la gorge et l’estomac, qui se noue dans les situations injustes et avec gêne à la fin des films tragiques à mort héroïque finale.
Leslie, quand même, c’est juste des gens qui sourient, le nœud n’est pas fait pour une chose si niaise que le « sourire birman » normalement. En tout cas, pas pour les aventuriers solitaires courageux.
(Merde, je vais peut-être devoir revoir mon statut… Tant pis pour le film d’aventures.)













Si un jour vous arrivez à Yangon, et que, comme moi, vous la trouvez sale, moche, pauvre et malodorante, prenez le premier bus.
Et à regarder les chauffeurs plutôt que les voitures, les vendeurs à la place les ordures, les vieux au lieu des bâtiments défraichis, les étudiantes plutôt que les fils électriques, les soudeurs à défaut de leurs ateliers artisanaux, à préférer les travailleurs à leurs crachats rouges, les écoliers à leur déchets et les cuisinières à leurs fritures, c’est à parier que vous la trouverez belle, bien riche et piquante !


 NB : il y a beaucoup d'enfants mais uniquement parce que c'est plus délicat de prendre les adultes en photo...

4 commentaires:

  1. Bonjour Leslie,
    il est 11hoo ici dans les Vosges, il tombe de la neige mouillée et il fait froid, je suis à mon bureau et je viens de lire votre nouveau message avec beaucoup de plaisir.
    J'ai beaucoup aimé l'intro de votre texte, l'exercice est difficile, trouver les mots justes, sans tomber dans les lieux communs.
    Vous y arrivez sans problème...
    Je prend beaucoup de plaisir à vous lire et également à regarder vos photos (waouh quelles couleurs!). Votre plume est efficace et pleine d'humour, en un mot....c'est vraiment COOL.
    Du haut de nos éoliennes, je vous souhaite un bon voyage et encore merci pour votre blog.
    Bien amicalement
    L.J

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  2. bonjour leslie,
    c'est sur la vie en birmanie est difficile, mais c'est un pays d'une beauté exeptionnelle avec des paysages vraiment très différents selon où tu te trouves, j'y ai vu le plus beau ciel étoilé de ma vie, je ne pensais que ça puisse exister une coupole pareille.
    dans l'attente de la suite de ton épopée Birmane.
    Bise Agenor.

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  3. Tu nous décris une sort de jeu entre le chas et les sourires

    Bibi

    Léoche

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  4. Ouahoo!!! Ça s'est bien écrit ! ! Ah mais donc c'était ça que j avais dans la gorge alors !! Heureusement que je lis ton blog pour comprendre !
    Bisous bisous, et continue bien ton périple !! C'était vraiment cool cette Birmanie ensemble.

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